LA PEAU, LA CHAIR ET L’INFINI MYSTÈRE DEDANS
INTERLIGNE | ART | FÉVRIER 2024
Texte | Communiqué + Mylène Lachance-Paquin + Dave Richard
Photos | Mike Patten + Delphine Huguet + Biennale POST-INVISIBLES
Présentée à Projet Casa à Montréal dans le cadre de l’édition 2024 de la Biennale POST-INVISIBLES, l’exposition Les corps complexes de l’artiste multidisciplinaire Delphine Huguet explore les différentes façons dont les corps sont perçus dans les interactions sociales et personnelles. Rassemblant d’imposantes sculptures de tissus, des œuvres installations et des créations sur papier, la généreuse proposition s’ancre dans une recherche sociétale, comportementale et féministe qui laisse transparaître les malaises véhiculés par les rapports de domination en fonction des identités de genre à travers l’Histoire, tout en encourageant une réflexion qui pourrait permettre de les dissiper.
Dès l’entrée à Projet Casa, on découvre Nu.e.s 3, une œuvre textile composée de cinq formes organiques et nouées, à la fois longues et mamelonnées, hybrides, en camaïeu de chair, nous place dans un inconfort presque familier. Ambivalente, cette sculpture évoque la lourdeur des dynamiques complexes et emmêlées — car surcodifiées — ressenties au gré des interactions humaines. Sous un silence pesant, ces masses informes nous renvoient au poids physique et psychique imposé par les dogmes sociétaux qui nous alourdissent, bien qu’imperceptibles. Sur l’un des murs, on retrouve également deux premières créations sur papier de la série Pornographie de Salon, et un sein de la série Étude de Nu.e.s 3.
Spectaculaire, la deuxième salle présente Narcisse, une installation au coeur de laquelle le ciel photographié s'érige en une colonne de soie, évoquant quelque chose d'intrinsèquement romantique. Comme Narcisse contemplant sa propre beauté dans l'eau, le ciel imprimé devient un miroir de la perception romantique des relations intimes. L'œuvre traite également de l'autoportrait, une célébration moderne de l'amour de soi, où l'on explore les facettes les plus intimes de son être à travers l'objectif de son propre regard.
Plus simplement, Delphine Huguet évoque dans une troisième salle ses souvenirs d’enfance et explore l’intrication des êtres au gré des relations amoureuses, symbolisée par le lierre, qui pousse, s'appuie et prospère en symbiose avec un arbre. Si le lierre se sert de l'arbre pour s’élever, en retour, il le protège des variations de température et enrichit le sol - une relation équilibrée, horizontalement hiérarchique, où chacun nourrit l’autre sans l’affaiblir. Dans un jardin inventé, Huguet expose les pierres tombales de ses désirs passés et s’interroge sur la possibilité d’une fusion harmonieuse.
La dernière salle du premier étage accueille Études de Nu.e.s 3, une installation de sculptures disposées çà et là, évoquant l’insatiable obsession des sociétés occidentales envers les seins. Tantôt qualifiés d’obscènes ou d’excitants, les messages entourant la poitrine des femmes sont contradictoires et stigmatisants. Par exemple, dès la petite enfance comme sur les réseaux sociaux, les mamelons féminins doivent être cachés —
« invisibilisés » —, contrairement à ceux des hommes et des garçons, qui ne sont pas vus comme choquants ou excitants.
Juste avant de monter à l’étage par le grand escalier, près d’un second ciel de soie noyé dans une fontaine, on croise de nouvelles œuvres de papier de la série Pornographie de Salon. Imprimée par gaufrage sur papier Stonehedge, puis sérigraphiée, chaque œuvre de cette série raconte un fantasme inavouable pour l’artiste, mais écrit de façon indéchiffrable, dans des mots superposés et mélangés, de façon esthétique, codée et quasi invisible. Ce rendu graphique, sous son couvert innocent, permet d’afficher le désir féminin comme un trophée dans tous les salons.
D’autres nous attendent au premier palier, puis à l’étage, dressant la table pour la dernière salle, tout en haut, toute petite et intime, en retrait, entre l’isoloir et le confessionnal, où l’on trouve des caviardages, des œuvres à travers lesquelles Delphine Huguet s'affranchit librement de ses désirs inavouables, de ses réflexions liées aux relations amoureuses et humaines, ainsi que de ses pensées les plus profondes pour ensuite les caviarder - une approche évoque les pratiques entourant la censure, rappelant les mises à l'index que l'Église effectuait sur les livres érotiques ou interdits.
L’artiste invite même les visiteurs.teuses à faire de même, à coucher sur papier leurs rêves, leurs peurs, leurs rancunes, leurs désirs, leurs désordres, leurs dégoûts, sans crainte ni réserve, avant de camoufler, à leur tour, l’inavouable.
Delphine Huguet ne pouvait pas rêver d’un écrin mieux adapté que Projet Casa pour accueillir son exposition sensible et charnelle. Ses pièces singulières prennent élégamment place dans le lieu d’exposition atypique, romantique et hors du temps. Ses Corps complexes proposent en somme, de manière décomplexée et non censurée, de réfléchir, en toute bienveillance, à une reconstruction souhaitable des schèmes traditionnels en ce qui a trait aux expressions multiples du désir, à la représentation du corps et à l’ambivalence des relations genrées, tant sur le plan intime que collectif.
LA BIENNALE POST-INVISIBLES
C’est la deuxième fois en autant d’éditions que Projet Casa présente une exposition dans le cadre de la Biennale POST-INVISIBLES qui consiste en un moment d’échange inclusif consacré aux questions entourant la place des femmes* dans le champ des arts visuels contemporains.
« Nous sommes fiers de participer et d'appuyer un événement important pour la reconnaissance et le rééquilibrage de la représentation des femmes dans le champ de l’art visuel », explique l’équipe de l’espace d’exposition.
L’édition 2024 de POST-INVISIBLES se déroulera jusqu’en avril et a pour thème Territoire/Frontières. Elle regroupe plus d’une quinzaine d’expositions à Montréal, Lyon, Paris et Las Vegas, ainsi que des événements et des tables rondes.
« À travers l’histoire de l’art, les artistes femmes ont été confrontées à d’innombrables iniquités par rapport aux artistes hommes. Notamment, elles étaient exclues des écoles des beaux-arts et du circuit artistique. Leurs pratiques étaient associées aux arts dits mineurs et leur talent, tout comme l’originalité de leurs propositions, était pour le moins minimisé. Mises à l’écart, elles demeuraient invisibles. Ces éléments historiques laissent des traces dans le milieu des arts visuels d’aujourd’hui. Il est grand temps d’entrer dans une ère post-invisible en faisant valoir le travail des femmes dans ce domaine », commissaire indépendante et instigatrice de l’initiative.
* Le mot « femmes » inclut toutes les personnes qui se considèrent ainsi, de manière univoque ou partielle, peu importe leur orientation sexuelle ou leur sexe biologique.
LES CORPS COMPLEXES
Exposition présentée dans le cadre de la biennale POST-INVISIBLES
Jusqu'au 18 février 2024
Jeudi + vendredi, de midi à 19h / Samedi + dimanche, de midi à 17h
Entrée libre
Commissariat | Mylène Lachance-Paquin
PROJET CASA
4351, avenue de l'Esplanade
Montréal, Qc
H2W 1T2
Sur Instagram @projet_casa
Sur Facebook @ProjetCasa.art
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DELPHINE HUGUET
Sur Instagram @delphinehuguet
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