ADMIRER LE DÉCOR
LIGNE 08 | ART | ÉTÉ 2023
Texte | Claire-Marine Beha
Photos | Quantin Andrup [portrait]
Les meubles et les objets de la vie de tous les jours dévoilent leur intensité grâce à Jeraume. Cet artiste visuel basé à Québec transforme les pièces de mobilier en personnages à part entière et nous invite à observer ces éléments du quotidien comme des sujets agentifs, et non plus comme de simples accessoires. Réalistes ou déconstruites, les formes qu’il déploie au crayon de plomb et de bois nous invitent à comprendre l’importance de garnir notre vie d’objets qui nous apaisent et nous enthousiasment à la fois.
L’amour du design habite Jeraume depuis longtemps. À défaut de fabriquer des meubles en trois dimensions, il flirte avec eux grâce au dessin, médium qu’il pratique depuis son enfance. Depuis quelques années, il vend son travail via son site web, mais également aux galeries-boutiques Le Livart, Bref et Paperole. Récemment, il collaborait avec les cafés Pista et Monopole, ainsi qu’avec la marque Milo & Dexter, le studio créatif Tanthem et les Francouvertes.
« Je n’ai pas encore fait le grand saut ; je ne suis pas encore artiste à temps plein, mais c’est seulement une question de temps », mentionne-t-il.
Les objets qu’il représente proviennent généralement de la sphère domestique : fauteuils, chaises, luminaires, sofas, tables, etc. En portant toute son attention – et celle du spectateur – sur ces pièces choisies d’ameublement, il révèle les nombreux détails qui en font des objets attrayants, des objets d’art, les affranchissant du même coup de leur dimension utilitaire.
Appréciant particulièrement les meubles ingénieux et colorés, Jeraume les présente souvent de façon isolée, disposé sur un fond monochrome, comme suspendus dans le vide. Contempler ses illustrations, c’est accepter de se concentrer sur une composante à la fois ; les couleurs saturées souvent privilégiées par l’artiste ajoutent une dimension ludique à cette expérience méditative ; les formes et les traits imparfaits ont des accents cubistes, Bauhaus, Memphis, entre réalisme et expressionnisme.
Dans certaines des œuvres de Jeraume, c’est la répétition, la multiplication de meubles similaires ou encore la distorsion de la réalité qui confrontent notre observation et stimulent notre curiosité. Certains meubles au design iconique provoquent une sensation de déjà-vu, et d’autres nous surprennent complètement. On se prend au jeu de leur sensorialité, mais la raison nous rappelle que ce mobilier n’est que fiction !
« Les intentions derrière mon travail sont entre autres de me permettre un temps d’arrêt sur moi-même, mais aussi de provoquer une certaine atmosphère de simplicité, que le spectateur vive une expérience sensible à travers une scène où il aimerait se retrouver », indique-t-il.
Dans sa série Contextes (2021), l’artiste approfondit son intérêt pour l’influence des espaces de vie sur les ressentis. Il nous invite à ausculter les lieux des habitudes, des rituels comme des lieux d’emprise sur nos esprits.
« Comme la psychogéographie, c’est par notre perception, notre appropriation spatiale et notre for intérieur que le lieu nous impose un sentiment quelconque, au-delà de toute
raison. »
Son processus de création commence généralement par la photographie d’objets et d’environnements qui l’interpellent. Il en choisit la perspective, le cadrage, les ombres.
« Lorsque plusieurs éléments sont disposés sur un support, je dessine les différentes pièces individuellement en premier lieu pour pouvoir venir les placer où je le désire et ainsi me donner une idée d’ensemble du résultat final. Je me mets par la suite au dessin. Il est très rare que je gribouille ou me pratique sur une feuille, la plupart de mes œuvres sont souvent finales. »
Faisant partie intégrante de ses dessins, la musique guide énormément ses choix de coloris et plusieurs de ses œuvres portent le nom d’une chanson. Encore une fois, on décèle la douce répercussion du quotidien qui transforme les choix furtifs en trace tangible et pérenne.
Il lui arrive aussi de s’intéresser aux espaces publics. Depuis le début de l’année, il travaille avec un architecte italien sur un projet collectif.
« Nous avons comme objectif de faire une exposition ici, à Montréal, et une à Milan dans le quartier où il vit. Ça m’excite beaucoup ! »
Tout en continuant son étude des formes, de leur construction et de leurs mouvements, Jeraume se donne également la permission d’explorer l’abstrait et le portrait – de nouvelles façons pour lui de sublimer l’ordinaire.
JERAUME
Sur Instagram @jeraume
Sur Facebook @jeraume
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