ACCEPTER L'IMPERFECTION
LIGNE 05 | ART | AUTOMNE 2021
Texte | Dave Richard
Photos | Jeremy Le Chatelier
De longs clous, un anneau et des pièces informes de tôle rouillés, tous harmonieusement disposés dans un cercle de ciment texturé, lui-même inséré dans un cadre de bois à la géométrie élégante. Un amalgame de corde épaisse, de pierre, de vieilles tiges métalliques et de bois formant un vase aux formes antiques, mais à l’esprit ultra-moderne. D’immenses tableaux où les traits au crayon et les masses d’acrylique s’entremêlent, donnant forme à des oiseaux souriants, des lieux abstraits, des fleurs fines, des croissants de lune et des pignons d’églises... L’univers de Jeremy Le Chatelier est vaste.
Plus tôt, au printemps, nous lancions une invitation sur nos réseaux sociaux ; nous étions à la recherche de vases faits au Québec. Jeremy Le Chatelier fait partie des artistes et artisans qui ont répondu à notre appel. En découvrant son travail exceptionnel, il nous est vite apparu que sa démarche englobait plusieurs disciplines et nous avons eu envie de creuser davantage, de fouiller son œuvre à la fois brute et élégante, poétique et singulière.
Des traits brouillons aux agencements maîtrisés, des finis lisses aux rebuts réhabilités, Le Chatelier sait faire rimer avec talent les matières et donner profondeur et poésie au plus banal des matériaux, au gribouillis le plus imparfait. Au cœur de ses sculptures, la rouille, l’oxydation, les torsions, les fissures, brisures, cassures, déchirures, éraflures, les trous, les nœuds, les marques, les taches, les bulles d’air, les patines sont bienvenus. Sur ses tableaux, il peint et dessine avec l’abandon de l’enfance, mais compose comme quelqu’un qui sait mesurer avec justesse, marier avec goût, s’abandonner sans exagération.
« Les objets trouvés dans des déchèteries ou sur des chantiers de construction constituent la base de la plupart de mes créations. Je les collectionne ; leurs textures riches embellissent mes sculptures et mes tableaux. J’aime les présenter dans un contexte propre et minimaliste. Je fais très peu d’esquisses ; je me lance à partir des matériaux que j’ai sous la main. J’aime bien créer le désordre, pour ensuite épurer en me servant de certains concepts de design, entre autres en ce qui a trait à l’équilibre visuel. Je suis très cartésien ; je m’imagine souvent une grille lorsque je travaille, un peu comme les typographes. »
Il est vrai qu’une fois que les tableaux de l’artiste sont terminés, leurs formes et leurs couleurs s’équilibrent. Les tons naturels, terreux et doux, semblent aller de soi. Il s’en dégage une liberté palpable. Et c’est avec autant de liberté qu’une fois saturé de peinture, il s’amuse à concevoir des objets en trois dimensions, qu’il considère comme des déclinaisons de ses tableaux.
« J’ai réalisé récemment que très tôt, disons vers l’âge de 10 ans, lorsque nous partions en vacances en famille, j’avais toujours très hâte de rentrer chez moi pour créer. En avion, je dressais les listes de projets auxquels j’allais me consacrer à mon retour. Je collectionnais les bouchons de liège des bouteilles de vin que mes parents buvaient pour en faire plus tard des bateaux pour mon bain. Je ramassais ce que je trouvais. Quand on me le demandait, je répondais que je deviendrais ingénieur. »
Alors qu’il avait entrepris des études en sciences, le jeune homme s’est rendu compte qu’il n’était peut-être pas à sa place.
« Le fait qu’il n’y avait qu’une seule réponse valable durant les examens m’angoissait profondément. J’ai décidé de prendre une pause et de partir vivre une année en Australie. Je me suis acheté un appareil photo et un livre pour apprendre la technique. C’est la photographie qui m’a permis de développer ma sensibilité et d’apprendre à apprécier la beauté des scènes du quotidien. »
À son retour, Le Chatelier continue d’explorer son talent. Il se met à dessiner sur les murs de sa chambre, à faire des collages à partir de photos qu’il a prises, puis un jour décide de retourner étudier, mais cette fois dans un domaine s’accordant mieux à ses envies créatives : le design graphique.
« Le ready-made de Duchamp m’inspire ; il nous autorise à voir notre environnement comme un grand musée. Je suis fasciné par le trait spontané de Basquiat, le travail sculptural de Twombly et, je dirais, la rigidité de Rothko. Je laisse toujours place à l’accident dans mon travail. Le wabi-sabi permet assez bien de décrire et d’apprécier certaines de mes œuvres : l’acceptation de l’imperfection. »
Récemment, Le Chatelier collaborait avec l’entreprise Luminaire Authentik pour créer la collection de lampes entièrement faites à la main Solstice, à partir de matériaux trouvés, puis surcyclés. Chacune des lampes de la collection est une œuvre d’art, signée et numérotée. C’est lui qui a approché l’entreprise pour mettre sur pied cette aventure commune et ajouter une fonction à ses sculptures : celle d’éclairer. Comme un supplément d’âme – comme si elles en avaient besoin ! Quelques pièces sont encore en vente sur la plateforme d’achat de l’entreprise.
L’artiste crée aussi des vases de céramique, fait de la photo... Un peu comme un enfant suit son cœur pour jouer à ce qui lui plaît, Jeremy Le Chatelier évolue au gré de ses envies et de ses inspirations, s’adjoignant pour chaque projet la matière qui convient – ou celle qui lui tombe sous la main. Nous avons déjà très hâte de voir vers où son cœur le guidera dans le futur. Peu importe où, nous le suivrons.
Sur Instagram @jeremylechatelier
Sur Facebook @jeremy-le-chatelier
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