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LA PHOTOGRAPHIE D’ARCHITECTURE AU QUÉBEC

LUMIÈRE SUR LES PHOTOGRAPHES D'ARCHITECTURE

LIGNE 10 | ART | ÉTÉ 2024

Texte | Muriel Françoise

Photos | Maxime Brouillet + Gabriel DeRossi + Alex Lesage + Sylvie Li + Pierre Manning

 
 

Acteurs de l’ombre, les photographes d’architecture et de design d’intérieur jouent un rôle de premier plan pour ces disciplines artistiques. Qu’ils nourrissent une obsession pour les lignes ou s’attachent davantage à capter l’ambiance émanant d’un décor, leurs regards sont essentiels à la notoriété des firmes qui font appel à leur talent. Ligne est allé à la rencontre de trois d’entre eux : Alex Lesage, Sylvie Li et Maxime Brouillet pour croiser leurs points de vue sur un métier aux contours flous.




Maxime Brouillet. Photo | Gabriel DeRossi + Sylvie Li. Photo | Pierre Manning + Alex Lesage


Enfant, Alex Lesage aimait emboîter le pas à ses parents, qui travaillaient dans l’immobilier, lorsqu’ils partaient visiter des propriétés. « J’ai développé très jeune un intérêt pour l’énergie qu’un bâtiment pouvait transmettre. J’ai vite compris qu’il y avait en celui-ci quelque chose qui allait au-delà du projet d’architecture », confie-t-il. Après des débuts professionnels dans les affaires familiales, en 2015, il lance, avec deux amis, l’agence créative Threefold, et le magazine en ligne Anniversary, dont il est le directeur artistique. Le nouveau média aimante rapidement les regards de la communauté d’architectes et de designers du monde entier. Dans la foulée, il s’essaie à sa passion, la photographie, pour quelques projets, et aboutit ainsi à l’enseigne new-yorkaise du designer et antiquaire danois Oliver Gustav. Le nouveau studio aux accents wabi-sabi, logé dans l’hôtel 11 Howard, à SoHo, lui permet de cerner ses attentes pour la suite de sa carrière. « C’est vraiment là que j’ai cherché à capturer l’essence d’un projet, plutôt qu’à le documenter, pour susciter des émotions », relate-t-il.



Projet Laurier, par Laurent McComber [1 + 4 + 8 + 11 + 12] + Projet Casgrain, par Pelletier de Fontenay + Ian Nataf [2 + 3] + Maison Melba, par Atelier L'Abri [5 + 6 + 9 + ] + Projet PR3004, par Mitchell Sweibel [13] + Résidence De l'Esplanade, par Ian Nataf [7 + 10 + ]. Photos | Alex Lesage.


Ce sont aussi les vertus d’un espace soigneusement pensé pour les humains qui amènent Sylvie Li à photographier des intérieurs après des débuts dans le domaine culinaire. « J’avais un intérêt personnel pour le design, mais aussi pour le processus permettant d’obtenir un intérieur harmonieux. C’est important dans la vie quotidienne. Habiter un espace où l’on se sent bien est bon pour le moral et la créativité », souligne-t-elle. Diplômée en photographie commerciale du Collège Dawson, elle oscille aujourd’hui entre la photographie culinaire, sa première passion, et la photographie d’intérieurs pour des firmes ou des médias canadiens et étrangers (ELLE Décoration Québec, Dinette, Architectural Digest, House & Home...) Elle compte parmi les rares Québécoises à s’être illustrées dans la photographie d’architecture et de design d’intérieur.


C’est une heureuse rencontre qui permet à Maxime Brouillet d’amorcer sa carrière en photographie d’architecture. En 2013, fraîchement diplômé en cinéma et en photographie de Concordia, il se lie d’amitié avec l’équipe de La Shed, qui signe alors ses premiers projets au Québec, et découvre avec intérêt les clichés du studio du sculpteur Jean-Louis Emond que Maxime expose à la Maison de la culture Rosemont-La Petite-Patrie. « Je ne savais pas qu’on pouvait faire de la photo d’architecture. La Shed commençait à documenter ses projets. Elle m’a donné ma chance », raconte-t-il. Là où certains voient des lignes, il perçoit avant tout des décors, autant de cadres de vie modelés pour le bien-être de leurs occupants. « La photographie d’architecture est aussi pour moi un acte méditatif. Un peu comme dans un musée, j’essaie de comprendre ce que l’architecte a voulu exprimer », note-t-il.



Maison du Mont-Saint-Castin, par La Shed Architetcure [1 + 8] + Projet Sainte-Famille, par Ross Dugas [2 + 4 + 6] + Les Abouts, par Atelier Pierre Thibault [7 + 9 + 12] + Maison Carlier, par YH2 [11] + Villa Cap à l'Aigle, Jérôme Lapierre Architecte [3 + 5] + Projet Kenogami, par Jérôme Lapierre Architecte [10 + 13]. Photos | Maxime Brouillet.


L’architecture et le design d’intérieur québécois, qui se redéfinissent au fil des influences et des défis de l’époque, s’accompagnent d’une évolution dans l’art de partager les réalisations des firmes au plus grand nombre à travers des publications dans la presse et sur les réseaux sociaux. Chaque photographe déployant son génie artistique en collaboration avec leurs créateurs grâce à un minutieux travail en amont. « Il est important que chaque image puisse vivre seule en restant pertinente », estime Alex Lesage que les codes d’Instagram ont amené à simplifier la composition d’une photo. « Il faut comprendre la spatialité d’un lieu, sans chercher à tout montrer. Cela viendrait diluer l’essence du projet », explique-t-il par ailleurs. Ses clichés s’apparentent souvent à des tableaux où le temps semble suspendu. « J’essaie toujours, à travers mes photos, que le sujet démontre une certaine sophistication tout en communiquant un calme ou une sérénité, par le choix d’angle, la texture, ou l’ordre des éléments contenus dans une scène », précise-t-il.




Si l’intention est invariablement de présenter au mieux un lieu pour un portfolio ou des publications, la démarche des photographes les plus sollicités au Québec ces dernières années s’inscrit davantage dans un point de vue personnel, un parti pris, une signature artistique unique. « J’ai toujours privilégié une approche authentique, plus intime. En photographie d’intérieur, mon but est que la personne qui regarde la photo ait l’impression d’être dans le décor. Je suis moins intéressée par les volumes. Je préfère les plans rapprochés, et suis très sensible aux matières choisies pour une pièce. J’aime me concentrer sur un détail qui va rendre le tout plus intéressant », observe Sylvie Li.


Projet De la Gauchetière, par Future Simple Studio [1 + 3 + 4] + Projet Chambord, par Bon Vivre Studio [2 + 6 + 8] + Projet Fabre, par Bon Vivre Studio [5] + Projet Evelyn, par Bon Vivre Studio [7] + Résidence NORM, par Alain Carle [9 + 11] + Projet SOUK HABITAT [10]. Photos | Sylvie Li.


Ce sont souvent des détails qui accrocheront le regard des photographes, mais aussi du public, et augmenteront la visibilité d’un projet dans le flux incessant d’images auquel celui-ci est soumis. Un impact assimilé par de plus en plus d’architectes qui n’hésitent pas à s’associer à des stylistes ou à des créateurs locaux pour immortaliser leurs réalisations. Maxime Brouillet, proche collaborateur de La Shed et des architectes Pierre Thibault et Jean Verville, aime, lui, faire intervenir des personnages (souvent les propriétaires et leurs enfants) dans quelques clichés. « Lors des séances photo, je laisse beaucoup de place à l’improvisation. J’aime prendre la journée pour voir comment les gens vivent dans ces décors. Un peu comme au cinéma, j’essaie de capturer une même scène à différents moments », explique-t-il. L’idée derrière cette stratégie ? À nouveau, que ceux qui verront défiler ces photos puissent se projeter dans ces intérieurs.



Maison Melba, par Atelier L'Abri. Photo | Alex Lesage + Projet Chambord, par Bon Vivre Studio. Photo | Sylvie Li + Maison du Mont-Saint-Castin, par La Shed Architecture. Photo | Maxime Brouillet.


En fin de compte, il s’agit de susciter le désir au risque d’encourager une surconsommation et de frustrer la multitude de ceux et de celles pour qui ces projets resteront inaccessibles. « J’ai toujours été conscient que les images que l’on crée s’inscrivent dans un système de production et de consommation. Il est donc encore plus important de choisir ce qu’on veut montrer. J’aimerais trouver dans les projets des produits plus éthiques, fabriqués par des artisans. Si l’authentique devient désirable, les gens seront davantage demandeurs de choses uniques, et un réel changement pourra s’opérer », observe-t-il. « Il faut aussi titiller leur curiosité, même s’ils ne peuvent pas s’offrir les maisons que nous photographions ; les amener à être bien dans leur espace, en l’aménageant, par exemple, avec des objets auxquels ils donnent une seconde vie. On peut élever la sensibilité à ce qui nous entoure. Les photos que les gens préfèrent montrent un bout de table, un bouquet de fleurs... des choses que tout le monde peut s’offrir », conclut-il.



Quel est donc le rôle du photographe d’architecture ou de design d’intérieur au Québec en 2024, au-delà de celui d’augmenter la visibilité des firmes qui font appel à ses services, et de drainer de nouveaux clients potentiels vers leurs bureaux ? Inspirer sans aucun doute et tracer la voie à suivre en conscience au profit de la société dans sa globalité. Alex Lesage, que sa passion conduit à arpenter le monde, est convaincu de la force des efforts individuel et collectif. « Ces dernières années, on a pu voir une évolution dans l’architecture québécoise. Elle doit être encouragée. Nous devons continuellement chercher à faire mieux et ne pas nous contenter de répondre à ce qui nous est demandé », insiste-t-il. Ses expériences en terres étrangères nourrissent son travail créatif au Québec, mais elles font bien davantage : elles mettent en lumière le savoir-faire québécois. Ce rayonnement s’étend à l’ensemble de la communauté culturelle locale, qu’il s’agisse des architectes, des designers, des artisans ou des artistes tous domaines d’expression confondus. Chacun apportant, à sa façon, sa pierre à l’édifice.


Thicket Studio, par Abbott Brown Architects. Photo | Maxime Brouillet.

 

MAXIME BROUILLET



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ALEX LESAGE



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SYLVIE LI



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