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Photo du rédacteurMagazine Ligne

MANUEL MATHIEU

LA VIE COMME UNE ŒUVRE EN SOI

LIGNE 08 | ART | ÉTÉ 2023

Texte | Dave Richard

Photos | Guy L’heureux + Renaud Labelle + Jean-Michael Seminaro [avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Galerie Hugues Charbonneau]

 

Portrait de Manuel Mathieu en résidence parisienne.

 

L’artiste montréalais d’origine haïtienne Manuel Mathieu peint, sculpte, dessine, installe. Il mentionne travailler à un projet de livre, mariant dessins et textes rédigés en collaboration. Il filme aussi. Dernièrement, son court métrage Pendulum remportait les honneurs au Festival International du Film sur l’Art. En 2024, sa série d’œuvres Le Mont habité, constituée de huit grandes murales de mosaïque, sera intégrée aux murs du long couloir-mezzanine de la future station Édouard-Montpetit du REM.


Normalement, on parlerait de la multidisciplinarité d’un artiste comme lui, mais quand on le rencontre, quand il se raconte, quand on entre dans son fascinant atelier, puis qu’on s’assoit pour partager un thé « juste assez infusé pour éviter l’amertume », au milieu d’immenses tableaux en chantier, de céramiques de son cru, de pièces de mobilier chiné, d’objets signifiants, d’éléments naturels, de reliques intimes, ce n’est pourtant pas le terme qui vient à l’esprit – trop technique, trop mou, trop convenu. Dans cet espace baroque qui ne ressemble à nulle part, tout va de soi.

« Pour moi, tout s’emboîte. Déjà, en Haïti, ma chambre était pleine d’objets disparates. Je me sentais bien dans cette chambre ; elle reflétait mon espace mental », raconte Manuel Mathieu.


Vue de l’exposition Dear mélancolie, Galerie Hugues Charbonneau + Bleu de bleu 2, 2022, techniques mixtes sur toile + Dear mélancolie, 2022, techniques mixtes sur toile + Vue de l’exposition Dear mélancolie, Galerie Hugues Charbonneau

Aborder les questions habituelles de « thématiques », de « démarche », « d’influences »,

de « médiums » devient pratiquement dérisoire face à Mathieu. Bien sûr qu’il a une démarche, des influences ; bien sûr qu’il explore plus particulièrement certains thèmes – la violence historique, l’effacement ou l’héritage spirituel ; bien sûr que la peinture et la céramique sont des médiums qu’il a explorés plus couramment jusqu’à maintenant. Par contre, il faut peu de temps pour comprendre que Mathieu crée viscéralement ce qu’il a besoin de créer à un moment précis, que les œuvres prennent forme instinctivement, qu’elles parlent de lui au présent, qu’elles germent de tout ce qu’il est, de tout ce qui avait été semé, qu’elles sont la somme d’apprentissages et d’expériences, d’expérimentations et de courage. Face à Mathieu, on comprend vite qu’on a affaire à un homme qui crée plutôt qu’à un artiste qui produit, que créer lui est viscéral, évident, aussi naturel que de respirer.

Entre abstraction et figuration, les formes mouvantes semblent couler sur ses tableaux. Les couleurs terreuses s’y mélangent aux teintes plus saturées, créant des amalgames inédits. Les textures y sont riches ; certaines pièces intègrent des bouts de tissu brûlé, des débris d’atelier, certaines sont scindées en deux, comme nées d’élans opposés, mariés de force. Ses céramiques sont massives, intrigantes, ludiques – elles viennent accompagnées de piédestaux qui semblent fondre sur le sol, ou incluent des pièces détachables...


Study on Death, 2022, techniques mixtes sur toile + Too far from home, 2021, techniques mixtes sur toile

Les mosaïques qu’il prépare pour le REM sont d’une beauté effarante, et on n’a vu qu’un échantillon et des rendus numériques. S’inspirant des infimes détails et strates visibles au microscope d’une lame de gabbro, roche à travers laquelle la station a été creusée, les fresques mettront en valeur la force de la pierre, son intemporalité ; gigantesques, elles sou- ligneront notre place minuscule au sein de la nature. Chaque tuile y sera unique.

« Ces œuvres mettront en scène des environnements idylliques, faisant référence aux fragments de mémoire des paysages laissés à l’extérieur de la station, laissés à la surface », explique l’artiste.

On avait rencontré Manuel Mathieu une première fois en septembre 2022, lors de la présentation de son exposition solo Dear mélancolie à la Galerie Hugues Charbonneau, qui le représente à Montréal ; une exposition forte et très belle de pièces ayant vu le jour durant la pandémie de COVID-19. Des mois plus tard, quand on lui demande s’il travaille sur un nouveau projet d’exposition, il s’étonne presque qu’on pose la question.


Vue de l’exposition Dear mélancolie, Galerie Hugues Charbonneau + Sans titre, 2021, techniques mixtes sur toile + Sans titre, 2021, techniques mixtes sur toile

« Je n’arrête jamais de travailler, moi ; je réfléchis toujours. Je suis toujours en mode créatif. C’est au fil des œuvres qu’une cohérence se crée, que des séries se cristallisent. D’autres fois, ce sont les commissaires avec lesquels je collabore qui composent une expo à partir de mes récents travaux. Ça ne me dérange pas ; j’aime faire confiance. J’ai du respect pour les gens qui savent ce qu’ils font. En ce moment, je travaille sur un projet qui sera présenté à Shanghai avec l’un des meilleurs commissaires chinois, quelqu’un qui aime prendre le contrôle des expos qu’il monte, et j’ai très hâte de voir ce qu’il fera de mes œuvres. Personnellement, toutes les expériences de mise en espace que j’ai vécues avec les Chinois m’ont épaté. D’ailleurs, il y a beaucoup de peintres chinois qui me parlent, en ce moment ; des artistes plus jeunes, qui ont étudié à Londres avant de rentrer en Chine et qui manient la peinture de façon nouvelle, qui ont beaucoup d’audace dans les formes. J’essaierai d’en rencontrer le plus grand nombre possible durant mon passage chez eux. J’aime rencontrer les gens qui m’inspirent. »


Vues de l’exposition Dear mélancolie, Galerie Hugues Charbonneau

C’est justement ce que l’on garde de lui quand on quitte son atelier : l’impression d’avoir rencontré un homme inspiré, qui donne envie, par son art vibrant, par sa rigoureuse quête de vérité, d’être soi-même plus en phase avec ses désirs, sa spiritualité, ses convictions, ses intérêts, de pousser plus loin ses limites et de faire mieux confiance à ses instincts, d’habiter plus organiquement sa vie. Il l’ignore sûrement, mais Manuel Mathieu prêche par l’exemple.


Vue de l ́installationOuroboros (détail), Musée des beaux-arts de°Montréal, avec (au mur) St Jak, 2018, techniques mixtes sur toile.

 

MANUEL MATHIEU


Sur Instagram @manuelmathieu

 

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