FAUX PAPIERS
LIGNE 04 | ART | ÉTÉ 2021
Texte | Dave Richard
Photos | Sébastien Gaudette + Virginie Tardif
Le papier : l’un des matériaux les plus communs, de ceux que l’on intègre au plus tôt de l’enfance. Accessible, démocratique et d’une simplicité désarmante, il est symbole d’apprentissage, de créativité et de tous les possibles. Sébastien Gaudette s’en sert d’abord comme sujet ; dans son œuvre, il est omniprésent, tant au propre qu’au figuré, dans le fond comme dans la plastique.
Sébastien Gaudette sculpte, peint, dessine. Il alterne les techniques et les matériaux pour développer un imaginaire ludique et coloré, avec en plein cœur son attachement obsessif de la Feuille – avec un grand F.
Ses sculptures suspendues de pages de cahier à spirale gribouillées, de feuilles mobiles déchirées, pliées, triturées, imitent à merveille vieux coloriages, copies d’enfant d’école, barbouillages, feuilles brouillon, textes non achevés, rejets et rebuts. Elles sont pourtant bel et bien faites d’aluminium sculpté, puis peintes; des trompe-l’œil parfaits qui forment une heureuse mascarade où l’éphémère devient inaltérable, où les matériaux s’échangent leurs propriétés pour gagner en poésie, en profondeur. S’ajoute à ces sculptures leur représentation dessinée, délicieuse mise en abîme, sans parler de ces installations de feuilles lignées géantes, théâtrales et fascinantes. Et impossible de passer sous silence ses immenses nuages, eux faits de papier de soie ou métallique froissé, qui semblent se dématérialiser. « Je ne considère pas le papier comme une surface bidimensionnelle, mais plutôt comme un matériau qui se laisse modeler et dont l’altération même est au cœur de mon processus de composition picturale. »
« Mes œuvres constituent des trames narratives de froissements, de plissages et de déchirements. Elles sont les empreintes, les traces persistantes de gestes, de mouvements qui ont évolué vers une forme complexe. »
Il y a quelque chose de festif dans le rendu des œuvres de Sébastien Gaudette – grâce aux éclats de couleur, notamment, et aux échos manifestes de l’enfance –, mais aussi une profondeur qui frappe et touche l’air de rien. L’artiste parle d’ailleurs de la boule de papier comme d’un symbole d’échec, de ratage, de rejet. Malgré tout, la feuille que l’on jette annonce aussi celle qui suivra, le prochain essai et la réussite à venir.
Autrement, la page arrachée d’un cahier, lorsqu’elle est faite de métal, n’est plus quelconque : elle est soudainement immuable, tout comme ce qu’on y a marqué. Un vol d’identité qui abolit l’éphémère.
La pratique de Sébastien Gaudette, qui est dans le domaine des arts depuis 15 ans, a fait un bond gigantesque ces cinq dernières années. « J’ai toujours dessiné, bricolé. Très jeune, j’ai développé une fascination pour les arts. D’abord autodidacte, je me suis plus tard inscrit à l’Université du Québec à Montréal où j’ai obtenu en 2015 un baccalauréat en arts visuels et médiatiques qui m’a donné l’occasion de participer à plusieurs expositions et résidences de création un peu partout dans la province. Après avoir été artiste à temps plein pendant plusieurs années, je conjugue aujourd’hui travail et création; je crois avoir trouvé un bel équilibre. »
À l’été 2019, il participait à une résidence de recherche et de création d’un mois au Vermont Studio Center regroupant 40 artistes provenant des quatre coins du monde. L’an dernier, il recevait la mention Talsom à l’occasion de la Foire d’art contemporain de Saint-Lambert. Dernièrement, la Biosphère de Montréal faisait l’acquisition de son installation Froisser pour/et mieux penser afin de l’inclure au cadre de l’exposition MTL+ et en avril, son œuvre Nocturne était mise aux enchères à l’encan virtuel des Printemps du Musée d’art contemporain de Montréal. La Galerie Youn présentait également jusqu’au 1er mai dernier son exposition Le lexique des lignes troubles.
« Le concept de l’exposition était d’unir deux approches superposées de lignes de crayon : d’abord au sein d’un système rigide et linéaire, comme la grille; ensuite, combinées à une gestuelle aléatoire et non contrôlée, ou des perturbations comme des froissements du papier, des gribouillis et des éclaboussures de peinture. Ce contraste permettait un dialogue entre deux systèmes de composition opposés. »
La Galerie Youn, sise à Montréal, représente d’ailleurs l’artiste depuis cinq ans et expose ses œuvres en permanence*.
* Cet article a été publié en mai 2021. Depuis janvier 2021, c’est la Galerie Robertson Arès de Montréal qui représente l’artiste.
Sur Instagram @sebastien_gaudette
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