EXPLORER LE TEXTILE ET LES COULEURS
CHRONIQUES | ART | JUILLET 2022
Texte | Claire-Marine Beha
Photos | Sylvain Granier + Valérie Gobeil + Claire-Marine Beha
Les œuvres en laine de Valérie Gobeil se déploient devant nous comme des écosystèmes uniques, attrayants et parfaits. Les couleurs dialoguent entre elles avec fluidité et, bien qu’abstraite, la forme finale nous procure une agréable sensation de satisfaction. On se sent bien, attiré par la douceur de la matière et stimulé par les coloris vibrants. Ces sculptures originales sont en fait le résultat de recherches plastiques que mène l’artiste depuis plusieurs années. Récemment, elle m'a ouvert les portes de son espace de création.
Dans l'atelier de Valérie Gobeil, le chaos semble très organisé. Les pelotes de laine se comptent par centaines et la variété de leurs couleurs laisse entrevoir les possibilités chromatiques. Au milieu des nombreuses aiguilles collectionnées par l’artiste, on découvre quelques pièces, parfois non achevées ou bien plus petites que la plupart des grandes œuvres qu’elle a récemment exposées à la Galerie C.O.A..
Valérie Gobeil travaille dans un espace lumineux, grand et accueillant. Près de la fenêtre, elle a tiré une grande toile de coton: c’est là que la magie opère. Elle m’offre une petite démonstration, armée de son pistolet à touffeter et me mentionne qu’elle travaille en réalité à l’envers du résultat - c’est la technique qui le requiert!
Le touffetage (ou tufting, en anglais) a gagné en popularité ces dernières années, notamment dans le domaine du design intérieur. Il n’est pas rare d'en retrouver en ce moment sur des sacs, des housses de coussin ou des tapis. C’est grâce à TikTok, pendant la pandémie, que le tuft a recommencé à se faire connaître et apprécier du grand public.
LA SCIENCE DES POSSIBILITÉS PICTURALES
Valérie Gobeil n’est cependant pas de celles qui ont découvert la tendance récemment. Son usage de cette technique ancestrale appellée aussi broderie à l’aiguille creuse (qu’on retraçe jusqu’à l’Égype ancienne!) découle de ses années d’essais-erreurs avec le textile, une quête débutée en 2005, lors de ses études.
« Pendant mon baccalauréat à l’UQAM, j’ai commencé à expérimenter avec le textile en le présentant dans mes cours de peinture. Je voulais traiter la fibre et l’interpréter comme on peut le faire avec la peinture. »
Des années plus tard, elle finit par rencontrer l’aiguille creuse et la curiosité s’anime en elle, l’artiste poursuit alors dans la direction du touffetage afin de pouvoir réaliser son objectif : peindre avec la fibre.
Si c’est son intuition qui lui a fait choisir son médium et sa technique de prédilection, la créatrice ne manque pas d’insister sur le fait que son travail artistique est purement plastique, abstrait. Il n’est pas ici question du réel, la seule réalité étant l’exploration des potentiels picturaux de la matière et de la couleur. Valérie Gobeil ne nous parle pas d’elle à travers la laine.
« Je n’existe pas nécessairement dans mon travail, souligne-t-elle. La matière a-t-elle encore quelque chose à dire? Moi, je pense que oui. La plasticité doit encore exister en art. »
L’artiste interroge le langage du textile, met en lumière ses caractéristiques et confronte ses textures, en dehors de sa fonction utilitaire.
Lorsque l’artiste visuelle travaille sur une pièce, elle emprunte donc la rigueur d’une scientifique. Une sorte de symbiose s’installe entre elle et son objet d’étude.
« Parfois, je me casse la tête longtemps avant d’avoir un organisme qui se tient, avant de ressentir l’équilibre dans la composition et les couleurs. »
UNE RÉCEPTION TRÈS SENSORIELLE
Mais une fois le processus créatif terminé, elle n’a plus aucun attachement à son œuvre.
« Vraiment aucun? », je lui demande, un peu surprise, « oui, vraiment; pour moi, ça s’est passé pendant la création, c’est ce moment-là qui est important à mes yeux, ensuite je suis prête à laisser partir [l'oeuvre], j’ai fini ma recherche avec celle-ci. »
Par chance, les collectionneurs se font de plus en plus nombreux à s’intéresser aux différentes séries de la plasticienne. La réaction du public est une réaction très « physique », me dit-elle, grâce à la nature sensible de la laine et aux sentiments joyeux que provoquent les combinaisons des couleurs.
« Même si on n’y touche pas, on sait ce qu’on ressent quand on touche à [la laine], donc c’est super réconfortant et le coeur s’ouvre en deux ».
S’il est donc question d’émotions dans l’art de Valérie Gobeil, c’est une fois qu’il parvient à sa destination : le public. Toute la place est donc faite à l’imaginaire des spectateurs et spectatrices, sans doute conquis par la familiarité de la laine, et à la contemplation.
« Les gens vivent mes œuvres, et ça peut arriver que quelqu’un qui ne se décide pas à faire l’acquisition de l’une de mes œuvres va demander à être seul avec… pour la vivre. Certaines personnes m’ont déjà aussi dit qu’elles vivaient très bien avec mon œuvre chez elles. »
Dans la satisfaction de l’artiste, je perçois la fierté du travail bien accompli - ce qui résonne avec sa constance de chercheuse plasticienne -, ainsi que la joie d’engendrer des pièces qui non seulement concourent à mettre la fibre à l’avant-plan en art contemporain, mais qui connectent aussi puissamment avec le public.
Pour en savoir plus sur le parcours, la démarche et pour entrer dans les coulisses du processus de l’artiste, l'épisode 16 du balado Sous la fibre nous immerge au coeur de l’art de Valérie Gobeil.
CLAIRE-MARIE BEHA_SOUS LA FIBRE
Claire-Marine Beha est journaliste. Au fil des ans, elle a notamment écrit pour la Gazette des femmes, le Journal Métro, Urbania, Fubiz et Index-Design. Passionnée d’art, de culture et de design, elle fondait en janvier 2020 le fascinant balado Sous la fibre, qu’elle anime et réalise, et qui donne la parole aux artistes visuels. Dans chaque « audio-portrait », Sous la fibre invite un artiste visuel à partager ce qui se cache derrière ses toiles, ses photos, ses dessins, ses sculptures... Sous la fibre et Ligne développeront cette année une nouvelle collaboration. Les deux médias s’étant trouvé des atomes crochus, mais surtout une mission commune de démocratiser l’art, ils ont décidé de s’allier, ça allait de soi. Claire-Marine signera donc au fil des mois quelques textes sur le site web de Ligne et dans ses prochains numéros.
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